On parle souvent de valeur quand on traite de fusion ou d’acquisition d’entreprises, de la cristallisation de la valeur de la firme qui vend, de la valeur attendue suite aux synergies – lire coupures – qui suivront la conclusion de la transaction. Il est question de chiffres, de revenus et de profits, d’accès à divers marchés, de pourcentages de croissance anticipés. Il est moins souvent question de modèles d’affaires, de cultures et valeurs d’entreprise, et de leur compatibilité. En quoi ces éléments plus difficiles à quantifier seraient-ils importants à considérer dans le cadre de la vérification diligente d’abord, puis du processus d’intégration? Voici deux exemples. Dans le premier, c’est David qui a acheté Goliath. David avait une culture entrepreneuriale, Goliath était plus structuré et ses cadres se sentaient plus compétents que ceux de David. Les deux organisations ont en grande partie continué à fonctionner de façon indépendante. Cinq ans après l’acquisition, les employés de Goliath n’ont toujours pas l’impression de faire partie de David, et ce sont les modes de gestion de Goliath qui ont fini, inertie oblige, par être adoptées par David, car cette dernière organisation n’a pas pris le leadership au niveau de la gouvernance et des processus. Les résultats? Un manque de contrôle sur les activités réalisées, sur les moyens adoptés, et un manque de cohérence des positionnements au marché et des images et messages véhiculés auprès des clients comme auprès des employés. Ultimement, l’ensemble s’est désagrégé, les déficits se sont accumulés et un démantèlement a créé des pertes de valeur pour les actionnaires, pour les fournisseurs, pour les employés et pour toutes celles et ceux qui ont perdu leur emploi. Dans le second exemple, Haute Expert, firme se positionnant comme offrant des services à haute valeur ajoutée, fusionne avec Hip Solutions, une entreprise de produits dans un modèle à faible coût. L’on a donc en présence deux industries (services et produits) et deux modèles d’affaires distincts (haute valeur ajoutée avec coûts moyens à élevés, et faibles coûts). L’idée à l’origine de la transaction était de permettre à Haute Expert de fournir des solutions de bout en bout et de compléter les services, hautement personnalisés, par des produits aussi personnalisés dont l’intégration offre une haute valeur ajoutée. Comme les modèles d’affaires diffèrent, il en va de même des modes de gestion et des conditions de travail, prises au sens large. En effet il est nécessaire d’avoir des employés plus qualifiés, plus spécialisés et en moyenne plus expérimentés pour être en mesure d’offrir une haute valeur ajoutée et de justifier les coûts correspondants auprès des clients. Les conditions offertes par Haute Expert ne sont pas viables financièrement chez Hip Solutions, qui mise sur de faibles coûts, et les pratiques de cette dernière ne permettent pas d’attirer ni de retenir les employés capables d’apporter une haute valeur ajoutée. À cause de la structure de la transaction d’une part, et de certaines décisions de gestion prises, l’organisation a choisi d’uniformiser les conditions de travail et, contrairement à l’objectif initial, de mettre Haute Expert au service et à la remorque que Hip Solutions. Les résultats ont été pour Haute Expert la transformation du modèle d’affaires passé de services à haute valeur ajoutée à des services considérés comme des commodités et donc à plus faibles coûts, avec la perte de joueurs clés, la dénaturation de l’entreprise et la perte de sa réputation de leader professionnel au sein de l’industrie. Du côté de Hip Solutions, l’augmentation des coûts de main d’œuvre notamment a réduit la rentabilité. La firme combinée a en fin de compte un positionnement à relativement faible coût, et a perdu de son lustre dans chacune des industries (services et produits). La valeur de l’organisation est par ailleurs en déclin constant, les perspectives de croissance venant de marchés et d’une niche spécialisée qui n’était exploitée par aucune des deux entités du départ et qui est gérée à part.
Est-ce à dire alors qu’il ne doit y avoir aucune fusion ou acquisition si les cultures organisationnelles, gouvernances ou modèles d’affaires divergent? Pas nécessairement. Mais il faut prendre des précautions supplémentaires pour que la transaction génère les résultats escomptés.
Premièrement, s’assurer de couvrir ces aspects dans le cadre des discussions préliminaires, puis de la vérification diligente.
Est-ce que les activités doivent être intégrées au sein d’une seule entité pour être rentables, par exemple parce qu’il s’agit du même type de produits ou services? Dans l’affirmative des différences marquées sur le plan des valeurs, des cultures et des modèles d’affaires constitueront vraisemblablement des motifs de ne pas poursuivre la démarche, à moins que l’objectif ne soit de ne conserver que quelques joueurs clés tout en réduisant la concurrence.
Si les activités sont complémentaires et qu’elles peuvent à la fois être offertes séparément et de façon combinée, un maintien de deux entités juridiques distinctes permet de tirer parti des différences autant que de la complémentarité. Les coûts de fonctionnement associés doivent être pris en compte. L’ampleur et le mode de réalisation des synergies seront plus limités que dans une intégration complète, ce qui devra être intégré dans les scénarios financiers. Un peu de créativité, le souci d’agilité pour faire face aux inévitables changements et beaucoup d’efficacité permettront d’obtenir des résultats gagnants pour tous.
Et globalement, si une intégration doit avoir lieu, qu’elle soit partielle ou totale, il faut entamer les démarches et la gestion du changement correspondante dès l’annonce de la transaction et s’assurer que le processus qui sera adopté reflétera les valeurs, les modes de gouvernance et de fonctionnement désirés, ainsi que le niveau d’engagement souhaité de la part des employés.
Besoin d’aide pour réfléchir aux possibilités ou pour planifier les prochaines étapes? Je vous appuierai avec plaisir.
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