Quand on parle de gouvernance en entreprise, on pense le plus souvent à des éléments ou à des systèmes précis. Mentionnons par exemple la gouvernance des conseils d'administration, celle propre à chaque projet, les questions liées à la délégation de la prise de décisions financières ou encore à ce qui a trait à la conformité.
L'avantage d'envisager ces éléments séparément réside essentiellement dans l'apparente simplicité de cette approche relative. Ainsi le CA peut se pencher sur les questions entourant sa composition, le nombre d'administrateurs, les compétences requises, la durée des mandats, le nombre de comités, les obligations de ceux-ci et celles des administrateurs. Le Conseil veille également à l'évaluation des performances de ses membres et de ses comités, aux arrimages avec la direction. La haute direction de son côté définira notamment les organigrammes comme illustration des acteurs décisionnels, les postes et leurs responsabilités, de même que les délégations décrivant l'ampleur financière des décisions que chacun peut prendre avant de se référer au palier décisionnel supérieur.
Du point de vue opérationnel, chaque projet possède sa propre gouvernance, qui consiste essentiellement en divers processus de prise de décision et de reddition de comptes. Les acteurs et livrables clés auront été inclus dans la charte. Et bien sûr, l'on a de plus en plus fréquemment au sein des organisations une personne voire une équipe chargée d'assurer le respect des lois et règlements auxquels elle est assujettie compte tenu de la nature de ses activités et des lieux où elles s'exercent, et, séparément ou dans le cadre de la même structure, un bureau de projet dont l’objet est de veiller à ce qu’il y ait une vision et une gestion intégrées des initiatives significative en cours et à venir et d’assurer un maximum de cohérence dans les approches de gouvernance adoptées au sein de chaque projet
En ce sens, les approches décrites ci-haut font référence à des chaînes de commandement, y compris dans toutes les actions devant mener au respect des obligations de conformité, l'ultime preneur de décision étant alors l'autorité réglementaire concernée. Mais est-ce à dire que lorsque les règles ou les procédures ont été respectées, les conditions sont mises en œuvre pour assurer la pérennité de l'organisation avec efficacité, transparence, et dans le respect de l'ensemble des parties prenantes, dont les actionnaires? Pas nécessairement.
Ainsi, des investisseurs activistes pourraient pousser le CA, en dépit d'une structure de gouvernance appropriée, à adopter des décisions qui, pour être bonnes à court terme pour l'organisation, n'en sont pas moins dommageables à long terme. Trop de projets d'investissement pourraient être approuvés dans le respect des règles de l'entreprise et drainer les liquidités, entraînant potentiellement une faillite technique. Ceci peut arriver à différents niveaux de l'organisation, illustrant les risques associés au fait que la main droite ne sait pas ce que fait la main gauche... Et bien sûr, le fait de se conformer aux lois et à la réglementation ne garantit en aucun cas que les décisions prises et les modes de gestion soient de nature à assurer le succès et à entraîner des effets positifs pour l'ensemble des parties prenantes, à long terme, sachant que l'organisation pourrait changer de forme ou de propriété à court ou moyen terme. Sans compter qu'au gré d'un conflit ou d'une élection, à moins que ce ne soit d'un courant de société imprévu ou d'une innovation radicale, ce sont les règles du jeu qui changent, voire le jeu lui-même...
En résumé donc, bien des pratiques actuelles liées à la gouvernance sont établies et fonctionnent en silo, un peu comme si l’on essayait de faire vivre un organisme vivant en traitant séparément chaque organe et en omettant de prendre en considération l’écosystème dans lequel il s’insère.
Est-il possible d'envisager un programme ou un système qui saura permettre d'éviter tout dérapage, qu'il s'agisse des exemples cités précédemment ou de tout autre? Bien sûr que non. Et ce serait un exercice futile que de le tenter. Peut-on alors imaginer une autre façon d'aborder les choses qui s'adapte à la fluidité de l'environnement, à la rapidité et à la complexité des changements et des réalités d'une entreprise? Pourquoi pas?
Avant toute chose, revenons à la réalité des entreprises. Les organisations ne peuvent avoir de succès et donc assurer leur pérennité que dans la mesure où elles sont adaptées à leur écosystème et où, pour rester dans l'analogie du vivant, leur organisme est en santé. Il s'agit donc de tenir compte autant de l'entreprise elle-même, de ses employés, de ses ressources financières et autres, de son capital intellectuel, de ses processus et de ses modes de gestion, de sa culture, mais aussi des clients bien sûr et des partenaires, des fournisseurs, des bailleurs de fonds, des actionnaires, sans oublier le contexte économique, social et politique qui prévaut dans chacune des localités au sein desquelles les activités sont réalisées. De tenir compte aussi du caractère éminemment fluide et mouvant des réalités internes et externes.
Il arrive souvent que les entreprises accumulent une grande quantité de données, y consacrant énormément de ressources, humaines et technologiques. Ironiquement, bien des organisations ont ensuite des difficultés à exploiter ces données, à en extraire le sens. Car si l’intelligence d’affaires (BI) apporte des réponses, ces dernières n'ont de valeur ajoutée que lorsque les bonnes questions ont été posées...
Je vous invite donc à imaginer une approche basée sur des liens, sur la notion de vases communicants, sur une évaluation des résultats par cercles concentriques, de l'interne vers l'extérieur, du court au long terme. Il ne s'agit pas déconstruire un système complexe, multipliant les processus, qui ralentissent la prise de décisions, mais de ne se poser que les questions nécessaires, tout en s’assurant d’intégrer à la réflexion chacun des éléments, internes et externes, mentionnés plus haut. De même, histoire de mettre l'accent sur l'essentiel, on abordera les questions dans l'ordre suivant : pourquoi, pour qui (si pas déjà couvert), quels sont les bénéfices attendus et les risques, les ressources et les compétences requises, et ensuite seulement, on abordera les questions qui ont trait au comment.
Pourquoi?
Que cherche-t-on à accomplir au juste en matière de gouvernance? À corriger? À développer? Quelles sont les ambitions de l’organisation à ce sujet? On fera aussi les liens nécessaires avec les composantes de la mission, de la vision, des valeurs, mais aussi du plan stratégique. « Pourquoi » est une question qui tient en un mot, et pourtant c’est celle qui a le plus d’importance, celle qui se trouve à la base de tout ce qui sera mis en place. C’est le cap que l’on définit, la lunette d’approche, le premier filtre au travers duquel seront passées toutes les décisions et actions.
Pour qui?
Chacune des entités au sein de l’organisation prend des décisions qui affectent un écosystème plus ou moins large. On retrouvera à l’échelle de l’entreprise l’ensemble des parties prenantes internes et externes. Pour maximiser la probabilité que soient prises correctement les bonnes décisions pour chacune d’entre elles, il faut savoir, à l’échelle de chaque décision, identifier les parties prenantes qui seront les plus touchées, de leur point de vue et non de celui du décideur…
Quels sont les bénéfices attendus et les risques?
Bien sûr, on pensera immédiatement aux volets financiers, qui figurent généralement en tête de liste des préoccupations des entreprises, particulièrement à court terme. Mais les impacts ne sont pas qu’à court terme. Pensons seulement à toutes ces organisations manufacturières qui reportent indument des projets d’investissement pour permettre des revenus trimestriels par action alléchants…mais qui entraîneront parfois une désuétude susceptible de terrasser une organisation qui n’est plus concurrentielle. Parmi les impacts, il faut donc regarder aussi du côté des parties prenantes, et faire les liens nécessaires avec les réponses à la question « pour qui? ». Et une fois les bénéfices déterminés et les risques identifiés, quels sont ceux qui revêtent la plus grande importance? Quels sont les moyens pouvant être mis en place pour gérer les risques? En effet, évaluer si les effets secondaires du médicament sont plus dommageables que les bénéfices attendus peut s’avérer d’une aide précieuse quand vient le temps de prendre une décision…
Quelles sont les ressources et les compétences requises pour atteindre les objectifs de gouvernance ainsi que les objectifs stratégiques et opérationnels?
Cette question a pour but de s’assurer que l’on a les moyens de nos ambitions. Ainsi quand on pense aux ressources et aux compétences requises pour concrétiser les bénéfices et gérer les risques, il faut pouvoir identifier celles dont on aura besoin et regarder l’endroit où elles sont susceptibles de se trouver, au sein de l’écosystème global. Ce n’est que dans un deuxième temps qu’il s’agira d’évaluer dans quelle mesure, sous quelle forme et à quelles conditions elles sont disponibles ou peuvent être acquises. Évidemment, plus les comportements de collaboration sont valorisés et observés au sein de l’organisation, plus également une pensée intrapreneuriale peut être encouragée, plus grande est la probabilité que ces démarches soient effectuées avec un esprit ouvert, donnant lieu à des solutions plus novatrices.
Comment le tout doit-il être mis en place pour respecter la saine gouvernance visée?
C’est l’aspect le plus concret de la démarche d’équilibriste qui consiste à définir un cadre sans s’empêtrer dans les processus, à oser avoir une réflexion qui sort des sentiers battus tout en étant fermement conforme aux valeurs et aux principes fondamentaux. Rappelons que c’est dans le « comment » que l’on retrouve les volets les mieux maîtrisés de la gouvernance, qui ont trait aux organigrammes de décision, aux délégations de pouvoir, aux enjeux de conformité, à la reddition de comptes.
Se donner la peine, comme organisation, de réfléchir à sa vision et ses objectifs en matière de gouvernance et de les structurer, c’est déjà beaucoup. Être en mesure d’articuler le tout en une approche systémique, fluide, c’est, au-delà de l’apparente complexité, viser une simplicité est créatrice de valeur ajoutée.
Comme disait Einstein, « Tout devrait être rendu aussi simple que possible, mais pas plus ».
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