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Photo du rédacteurBernadette Petitpas

Quand la morale s'emmêle...

Ça y est. Vous avez enfin l’impression d’être vu. On vous invite à des rencontres relatives à des projets d’importance pour l’organisation. Y sont discutés les enjeux financiers et on vous regarde droit dans les yeux en vous disant que l’on sait que vous comprenez l’importance de réduire les coûts.

On vous laisse entendre qu’il serait bon de s’assurer que les postes X soient pourvus par des pigistes. Il y a certes une certaine zone grise selon les besoins et les travaux qui sont effectués, mais vous savez qu’il s’agit de besoins récurrents et que la subordination à un gestionnaire est claire. Peut-être vous a-t-on demandé de structurer la rémunération en vue de faire passer une portion du salaire pour, disons, un remboursement de dépenses, donc de réduire les impôts payables par l’entreprise, ou encore d’accepter des remboursements de dépenses normalement exclus en vertu des politiques. Malaise.

Vous vous rappelez alors la fois où vous êtes allé déjeuner avec des personnes travaillant comme vous en RH et que l’une d’elles, en traversant la rue, vous a fièrement mentionné avoir reçu des compliments de son président parce qu’elle avait réussi à convaincre les employés à taux horaire que l’entreprise ne paierait pas les heures supplémentaires...

Dans une autre circonstance, vous savez qu’une connaissance s’est fait intimer l’ordre de ne pas payer le solde des vacances dues lors d’une démission, sauf si l’employé le constatait et l’exigeait. Après avoir refusé d’appliquer cette pratique illégale, cette personne s’est fait dire qu’elle ne comprenait rien aux affaires et une réorganisation a entraîné l’abolition de son poste dans les semaines qui ont suivi son refus. Coïncidence bien sûr...

Vous savez bien que non seulement votre devoir est d’assurer la conformité des pratiques de l’entreprise aux lois et règlements en vigueur et qu’il s’agit d’une obligation découlant du code de déontologie de votre profession, mais qu’en plus, la prise de tels risques peut entraîner pour l’entreprise des coûts dans les cinq, six ou même sept chiffres, surtout si l’on inclut la rétroactivité, et porter un dur coup à l’engagement, à la productivité, à la rétention et à la capacité d’attraction. Des impacts à court, mais aussi à moyen voire à long terme donc.

Oui, mais, mais il y a aussi cette personne, étoile montante de son entreprise, dont le succès, vous avait-elle dit, reposait sur le fait que le patron ne savait pas tout, et en particulier qu’on omettait de lui dire ce qui allait moins bien, ce qu’il n’aurait peut-être pas envie de savoir... La situation financière de l’entreprise n’était pas reluisante, mais il ne semblait pas y avoir de sentiment d’urgence au sein de l’équipe de gestion, chacun étant plus occupé à bien se faire valoir qu’à trouver des solutions, enfin de vraies solutions, pas simplement des suppressions de postes ou plutôt le licenciement de ces personnes qui seraient peut-être celles sur lesquelles pourrait se reconstruire le futur. Que valait-il mieux hypothéquer ? Ses propres perspectives d’avancement, à moins de partir juste avant que le navire ne prenne trop d’eau, ou les intérêts de l’ensemble des actionnaires et employés ?

Ce sont là quelques exemples de situations, tirée du milieu des ressources humaines sachant que bien sûr chaque fonction de l’entreprise a ses propres enjeux, qui requièrent bien sûr une connaissance de la législation et de la réglementation applicables, de même que du code d’éthique de votre entreprise. Plus important encore, il s’agit pour vous d’appliquer votre compas moral, d’occasions de faire preuve de courage managérial et d’exercer votre rôle-conseil avec doigté, dans des contextes qui ne sont pas sans risques. Parfois, la bonne décision, l’action appropriée ressortent clairement. Mais le plus souvent, on est confronté à des zones grises qu’il convient d’exploiter avec jugement pour respecter et la loi et son esprit, pour se conformer au code de déontologie de l’entreprise, à celui qui s’applique à notre profession, ou tout simplement à celui que l’on se sera donné.

Ainsi, lorsque vous serez confronté à de telles réalités, je vous invite à vous poser deux types de questions. La première est associée aux risques pour l’entreprise. Quels sont les risques juridiques, parfois même relevant du droit criminel ? Qu’en est-il des risques financiers, tant ceux liés à de possibles amendes ou dommages punitifs, que ceux découlant des risques pour la réputation pouvant inclure la perte de clients, les liens plus difficiles avec les partenaires d’affaires ou les instances gouvernementales, l’image à titre d’employeur ? Ne nous y trompons pas, les efforts de bien des entreprises en matière d’éthique sont souvent liés au fait que la conformité coûte moins cher que l’exposition aux sanctions prévues en cas de manquement au cadre réglementaire. D’autres organisations, par contre, se servent de leur positionnement éthique comme d’un élément clé de leur image de marque et obtiennent des succès d’affaires qui sont liés à leur reconnaissance sur le marché.

La deuxième question concerne la catégorie de risque qui vous touche personnellement. Que risquez-vous à prendre ou à appliquer une décision reflétant une position éthique douteuse ou carrément illégale, sur le plan professionnel, mais aussi personnel ? Et puis, quand vient le temps pour vous de décider d’aller, ou pas, de l’avant avec une démarche qui vous rend mal à l’aise ou qui est tout simplement délicate, pour vous aider à prendre ce que vous considéreriez comme une bonne décision, demandez-vous quelles sont vos ambitions, et surtout, qui voulez-vous être ? Quelles sont vos valeurs ? Pour quels types de comportements et de contributions voulez-vous être connu et reconnu professionnellement, mais aussi dans votre vie privée ?

Voulez-vous être la personne qui adopte une vision élastique des règles, qui parie, souvent, sur le fait du pas vu pas pris, qui gagne parfois, peut-être souvent, et puis qui perd et fait perdre l’ensemble des parties prenantes ? Il peut être tentant de se présenter comme un gagnant lorsque les choses tournent bien pour nous. Peut-être même de recevoir des prix associés à nos succès, qui ne nous auraient peut-être pas été attribués si l’ensemble des circonstances avait été connu.

Voulez-vous faire partie de ce club sélect des femmes ou des immigrants ou des jeunes loups membres du comité de gestion ? Êtes-vous prêt alors à vous montrer « aimable » et dynamique ou prendrez-vous le risque d’exposer vos idées et vos recommandations, celles qui sont les meilleures pour l’organisation, mais pas nécessairement celles qui conviennent à vos collègues ou à votre patron ? Après tout, on vous a parlé de ces organisations où les personnes, et à plus forte raison les femmes, ou les personnes les plus âgées, ou celles qui ne donnent pas « les bonnes réponses » se font indiquer, plus ou moins gentiment, la sortie...

Et que dire de ces occasions d’affaires qui, si elles se concrétisent, rapporteront gros, mais qui reposent sur des prémisses que vous n’auriez peut-être pas envie de divulguer totalement ? De ces profits que vous avez générés, pour votre organisation ou pour vous-même, grâce aux conseils particulièrement « éclairés » d’un contact, d’un ami, d’un membre de la famille...

Parce que deux têtes valent mieux qu’une, si vous faites face à un tel dilemme, n’hésitez pas à faire appel aux conseils d’un mentor ou aux services d’un coach et peut-être même à un avocat, selon le contexte. Et si vous craignez des conséquences négatives parce que vous avez choisi la conformité et l’éthique ou si vous en subissez, vous pourriez également contacter les services juridiques de votre ordre professionnel qui sauront vous guider et vous appuyer.

Par ailleurs, si vous souhaitez être le moteur ou contribuer à faire avancer la cause de la conformité, de l’éthique au sein de votre entreprise, il existe de nombreuses ressources facilement accessibles et gratuites, qui portent à la fois sur un état des lieux, sur les tendances, et plus pratiquement sur les éléments à mettre en place.

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